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Little Joe

© Jean-Louis Fernandez

« Ces personnages sont sympathiques et ils auraient pu être des gens biens, mais pas dans un monde aussi navrant ».
Paul Morrissey

"Dans le diptyque « Little Joe : NEW YORK 1968 - HOLLYWOOD 1972 », le plus inattendu, c’est la fantaisie et la drôlerie qu’amène Pierre Maillet à cet hommage aux trois films de Morrissey dominés par la figure de Joe Dallessandro.
Ni nostalgie ni fascination pour l’underground ou les sixties, mais le regard d’une génération suivante sur cet appétit d’expériences sans brides, et des acteurs étincelants qui poussent avec brio les plus belles scènes vers la comédie.
On rit souvent, l’exagération est sous le signe de la liberté de l’acteur, du pouvoir de la fantaisie. Une troupe nombreuse, magnifique, cet art qu’ont toujours eu les Lucioles de renforcer un collectif de vingt ans avec des acteurs extérieurs à leurs parcours, et tout le monde à la même enseigne : ni sociétaires ni pensionnaires.

Au terme de cette traversée, étrangement, des ombres et des fantômes sont passés sur la scène, et derrière la jubilation théâtrale ils nous ont fait sentir la beauté des existences attirées par le vertige."
Alain Neddam

Note d’intention

Par Pierre Maillet

L’envie de porter la trilogie de Paul Morrissey au théâtre date de plusieurs années. Mon parcours de metteur en scène s’est toujours construit en rapport ténu avec le cinéma, tant dans le choix des auteurs dramaturges/cinéastes (Fassbinder, Pasolini, Bergman) que dans la forme, proche du jeu cinématographique ("Automne et hiver" et "La veillée" de Lars Noren) ou le fond, le cinéma comme thématique centrale ("La Chevauchée sur le lac de Constance" de Peter Handke).

J’ai toujours pensé que ces deux arts avaient une complémentarité puissante et créatrice quand on les faisait se rencontrer, que l’un n’annulait pas l’autre, bien au contraire. Aussi parce que je considère les œuvres cinématographiques au même titre que les œuvres dramatiques. Ou littéraires. Ou journalistiques. « Il faut faire théâtre de tout ». Pourquoi, avec les armes du théâtre, ne pourrait-on pas « remonter » ou plutôt « revisiter » des classiques cinématographiques ?

Dans le cas de "Flesh/Trash/Heat", c’est, au-delà des films, toute une démarche artistique et la fin d’une époque, qui auréole la trilogie. Ce n’est pas tant ce que Paul Morrissey arrive à capter avec sa caméra, que comment il fait ses films, qui me frappe quand je les regarde : la proximité qu’il entretient avec les acteurs, le tournage de "Flesh" et "Trash" les week-ends, les jump cuts (montage brut des séquences), le temps des scènes (il n’y en a aucune de moins de 10 minutes) ne sont que quelques exemples de la liberté créatrice, et la liberté tout court, si mises à mal aujourd’hui, qui font la force de ces films. Une forme salvatrice en quelque sorte.

Diptyque

Pour adapter cette trilogie cinématographique au théâtre, j’ai choisi d’en faire un diptyque.
La première partie "New York 68" s’inspirera de "Flesh" et "Trash".
"Heat" sera à l’origine de la deuxième "Hollywood 72". Comme les deux faces d’un même disque.

"Flesh" et "Trash" se passent tous deux à New York, Morrissey les tourne de la même façon (très vite, les week-ends), et les films sont construits de façon similaire : Joe comme figure centrale, et une succession de séquences le mettant en scène avec des interlocuteurs différents.
"Heat" par contre se passe à Los Angeles, Joe en reste la figure centrale mais le film est construit différemment, plus choral. Et surtout, comme une autre facette de l’Amérique, le milieu interlope underground des marginaux new yorkais laisse ici la place à de nouveaux laissés pour compte, ceux de l’industrie cinématographique hollywoodienne, qui vivotent entre talks shows, soaps et albums hypothétiques… Un nouveau Sunset Boulevard en quelque sorte, à la différence près qu’ici, plus personne ne parle de cinéma.

L’une des plus grandes forces de ces films, et à mes yeux certainement la plus importante, c’est l’humanité qui ressort des personnages. Tous des « marginaux » comme on dit. Sans jamais les stigmatiser, posant sa caméra en observateur patient, Morrissey en compagnon discret, révèle finement, avec humour et sans artifices, que tout ce petit monde underground n’est pas si éloigné des préoccupations de tout un chacun. La marge ici n’est pas forcément choisie, tous se débattent finalement comme ils peuvent avec ce qui s’apparente à une certaine norme. La frontière n’est pas si difficile à franchir, pour peu qu’on sache observer. Et écouter.

Les acteurs

Dans les trois films, la figure de Joe est définitivement immortalisée par Joe Dallesandro. Cependant, le lien que Morrissey entretient avec lui comme fil rouge de la trilogie ne sera pas reproduit dans le diptyque.
Ici, ils seront trois. (Comme dans les scénarios, où ce sont réellement trois personnages différents.) Le prostitué de "Flesh", le toxicomane de "Trash" et l’acteur de "Heat". Respectivement Denis Lejeune, Matthieu Cruciani et Clément Sibony. Je trouve plus riche de démultiplier les figures, d’une part parce que les échos produits par Joe Dallesandro comme figure centrale des trois films constituent l’une des plus fortes particularités de l’œuvre originale, et d’autre part l’aspect inévitablement iconique de la figure unique ne me semble pas très intéressant à reproduire. Il ne s’agit pas de trouver le nouveau Joe Dallesandro, mais plutôt d’enrichir, en la diversifiant, la place centrale de ce(s) monde(s) décrits par Morrissey.

Ce qui m’intéresse particulièrement aussi, c’est comment rendre au théâtre l’apparente souplesse de leur fabrication. Comment en filmant le parcours de ce(s) Joe(s) il dresse un portrait fictif mais du coup très réaliste du monde de la Factory, en faisant tourner bon nombre de personnalités fortes et importantes de ce groupe mythique qui jouent (peut-être d’ailleurs à leur insu) leurs propres rôles, à peine fictionnalisés par Morrissey.
Ici, d’ailleurs, il serait plus juste de parler de « bande » que de « groupe ». Et ce que je trouve particulièrement émouvant, c’est qu’à la manière d’un Copi écrivant "La tour de la défense", Morrissey, en fixant si fort le présent d’une époque, on entraperçoit la fin, la rendant tangible, troublante, et par conséquent, indémodable et moderne.
C’est pourquoi, autour des trois Joe, j’ai imaginé que les « guests », personnages périphériques (et non pas secondaires) pouvaient être de passage, en répétant très peu, un ou deux jours avec le Joe en question, pour ne rejoindre le spectacle qu’au moment des représentations. C’est une donne de travail qui me semble importante et excitante « à vivre », pour les acteurs comme pour la mise en scène.

Les scénarios

En ce qui concerne les textes à proprement parler, Morrissey cadre d’abord chacun des trois films avec un postulat de départ très clair. Dans "Flesh" la journée de Joe pour trouver de l’argent, dans "Trash" la quête de Joe pour trouver de la drogue, et dans "Heat" la quête de Joe pour trouver du travail à Hollywood.
A partir de là, les séquences qu’il « écrit » dans le scénario sont plus des situations, laissant les acteurs libres d’en inventer les dialogues. Ce n’est pourtant pas de l’improvisation à proprement parler, les acteurs servent une histoire, savent ce qu’ils doivent jouer et raconter dans chaque scène, mais ce qui intéresse certainement le plus Morrissey c’est « comment » ils vont y parvenir.
C’est leurs mots, leur temporalité, et leurs personnalités qui donnent ici une étonnante véracité aux scènes. Ni véritablement écrit, ni véritablement inventé ; à la frontière de la fiction et du documentaire ; le jeu des acteurs chez Morrissey se situe quelque part entre Pialat et Depardon, mais comme ici on est aux Etats-Unis, nous ne sommes parfois pas loin non plus de l’extravagance de John Waters, ou du Robert Altman de Short Cuts.
Ce matériau textuel que constituent les dialogues des trois films, nous allons d’abord le travailler tel quel. Puis, petit à petit, laisser les acteurs s’emparer de chaque séquence pour qu’advienne quelque chose qui leur appartienne.

En retrouvant l’urgence et la rapidité des films, j’espère en préserver l’étincelle, de façon aussi brute et émouvante que ce que les films dégagent. Et c’est à cet endroit-là que pour moi, les films de Morrissey rejoignent ce qui fait la beauté et la particularité de l’art du théâtre, capter la force de l’instant présent. En regardant les gens vivre…

Presse

LE FIGARO par Armelle Héliot - 2015.
Pierre Maillet, c’est une déjà longue histoire. Vingt ans qu’avec la compagnie des Lucioles, il travaille à monter des spectacles, à mettre en lumière des êtres à part. De grands originaux poussés parfois dans les marges. Des solitaires ou des gens de groupe -des solitaires en troupe. Ce que propose Pierre Maillet est toujours intéressant. On peut entrer plus ou moins facilement dans les mondes qu’il dévoile, on peut trouver plus ou moins fort tel ou tel spectacle, mais c’est toujours puissant, personnel, intelligent, émouvant. Pierre Maillet n’est pas seulement un lecteur passionné, un érudit, pas seulement un chef-metteur en scène qui orchestre des spectacles. Il est aussi un comédien. Il aime le travestissement et dans « Little Joe » il apparaît dans les deux volets. Il possède une présence naturelle. Cela ne s’explique pas. Il est présent aux projets qu’il porte ; Cela lui donne une densité particulière qui fait que même ceux qui ne le connaissent pas le remarquent. »

CULTUROPOIND par Alban Orsini - 2015
Attaché au cinéma depuis toujours, voir le comédien et metteur en scène Pierre Maillet se confronter à l’univers sulfureux de Paul Morrissey n’a rien d’étonnant. La première partie du diptyque proposé par Pierre Maillet, « New York 68 », reprend en grande partie les deux premiers films de la trilogie de Paul Morrissey, à savoir « Flesh » et « Trash », qui tous deux se déroulent à New York. Imbriquant les deux Joe des films d’origine, « New York 68 »tisse la toile ténue d’un monde interlope et névrosé en perte évidente de repères – la ville y jouant les araignées – sans sombrer dans le pathos pour autant. D’un point de vue formel, le metteur en scène se livre à une reconstitution véritablement bluffante des années 70, autant dans le mobilier, les costumes que l’ambiance. Sans chercher à tout prix le copié/collé de l’œuvre originale, certaines scènes sont néanmoins très proches, dans leur organisation même, des films originaux. Et afin de renforcer cette évocation très seventies, la musique tient un rôle prépondérant : de Patti Smith à Lou Reed, tout concourt à renforcer, par le son, la résurgence d’une époque et à ancrer ainsi temporellement le propos. À noter également le travail très précis et subtil du groupe Coming Soon. Ce diptyque est une véritable réussite : intensément sexy et tenu de bout en bout par des comédiens charismatiques et des effets de mises en scène efficaces, ces « Little Joe » se révèlent être un moment théâtral tout à la fois fort, drôle, tendre et terriblement émouvant. »

LA TERRASSE Manuel Piolat Soleymat – novembre 2013
Au sein d’une scénographie ingénieuse de Marc Lainé (trois espaces, en forme de boîtes, s’imbriquent les uns dans les autres), tous les personnages de ce New York de la révolution sexuelle nous parlent, sans aucune forme de pudeur, de leurs envies, de leurs besoins, nous font entrer dans l’intimité de leurs vies marginales. Perruqués, grimés,
dénudés à l’occasion, ils sont dix, aux côtés de Pierre Maillet, à faire renaître cet univers vivant et déjanté. Tous sont formidables. Ils donnent corps aux débordements d’un quotidien à la fois superficiel et aigu, ils nous font rire. Et nous embarquent avec entrain dans leur monde : un monde fait de transgression et de liberté.

Vidéo

Interview de Pierre Maillet / Présentation de LITTLE JOE

itv Pierre Maillet / Présentation du diptyque "LITTLE JOE" from jugon muriel on Vimeo.

Ecrit et mis en scène par Pierre Maillet
Spectacle hommage aux films de Paul Morrissey

NEW YORK 68
pour 11 acteurs
Avec Denis Lejeune
& Matthieu Cruciani | Joe

HOLLYWOOD 72
pour 9 acteurs
Avec Clément Sibony | Joe

et avec
Véronique Alain,
Emilie Beauvais,
Guillaume Béguin,
Marc Bertin,
Emilie Capliez,
Geoffrey Carey,
Jean-Noël Lefèvre,
Frédérique Loliée,
Pierre Maillet,
Valérie Schwarcz,
Elise Vigier,
Christel Zubillaga

*La distribution des guests est, et restera en cours,
ouverte et interchangeable…

Collaboration artistique Emilie Capliez
Scénographie Marc Lainé
Lumières Bruno Marsol
Son Teddy Degouys
Costumes Zouzou Leyens
Coiffures et maquillages Cécile Kretschmar
Collaboration musicale Coming Soon
Régie générale Patrick Le Joncourt
Photos et films Bruno Geslin

Production déléguée LES LUCIOLES
Coproduction le 104, établissement artistique de la Ville de Paris, le Maillon / Théâtre de Strasbourg, le Théâtre de Nîmes, la Comédie de Saint-Etienne, centre dramatique national, Festival Automne en Normandie.

Et avec le soutien de la SACD - Fonds musique de scène


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