par Cavanna
Trois pattes de mouche entrecroisées : une chaise. Un gros ovale avec un bout en moins : un dirigeable. Un petit point noir, vraiment tout petit : un œil. Quatre bouts de fil verticaux qui tombent bien parallèles : des cheveux…
Un œil, des cheveux ? Alors, le gros machin ovale est un nez, pas un dirigeable. Un œil, quatre cheveux, un nez, une chaise : la femme assise.
Je l’ai toujours connue comme ça. Assise, oui. Toujours. A droite du dessin, toujours. Elle, donc, regarde vers la gauche. Et de par là, de la gauche, il finit toujours par lui arriver quelqu’un. Un poulet, un canard, un petit vieux, un kangourou, un rat, un travelo, un hippopotame, une petite fille, une fourmi, un évèque…Quelqu’un.
L’un des deux dit quelque chose, généralement le visiteur. La conversation s’engage. Une conversation pleine de trous. Parce que, quand l’interlocuteur a envoyé sa réplique, s’ensuivent deux ou trois dessins où ça ne cause pas, où l’on voit les paroles qui viennent d’être dites pénétrer dans le crâne de celui dont c’était le tour d’écouter et faire leur chemin à l’intérieur de ce crâne. Le sourcil se fronce – oh, à peine…-, on voit bien que ça pense, là-dedans. Copi a des silences éloquents, dirai-je. Et quand enfin la réplique part, tu ne sais jamais d’avance où elle va t’envoyer…Déconcertant, voilà. Copi est déconcertant. Déconcertant, mais pas que. Copi, en outre, est :cynique, cruel, faux naïf, arrogant, désespéré, aristocrate…Et homosexuel. N’oublions pas. Homosexuel sans gêne comme sans complexes. Lui dirait plutôt « enculé ». Copi seul peut le dire avec cette grâce tranquille, cette distinction suprême. A part Copi, tous les enculés ne sont que des pédés. Je voudrais vous parler de Copi homme de théâtre, de Copi romancier…D’autres le feront mieux que moi. Je m’en tiendrai à la femme assise, tout Copi est là, dans ces traits ténus, si peu salissants pour le papier.
La femme assise est-elle Copi ? Copi est-il la femme assise ? La femme assise est-elle Copi tel qu’il se serait voulu ? La femme assise est-elle la Femme ? La femme assise est-elle la Mère ? La chaise symbolise-t-elle la Fatalité du Destin ? Pourquoi un poulet ? Pourquoi un canard ? L’homosexualité de Copi éclate-t-elle même dans les dessins où il n’est pas question d’homosexualité ? Quel message Copi a-t-il désespérément voulu lancer au monde derrière un symbolique dont il a volontairement jeté la clef ? Copi, comme Boris Vian, fera-t-il un malheur au hit-parade quand il sera trop tard ? Que de questions passionnantes ! Vous avez vingt minutes pour y répondre, ensuite je ramasse les copies. Vous ne vous figuriez quand même que j’allais faire tout le travail ?