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La chevauchée sur le Lac de Constance

© Christian Berthelot

« Quand j’écris pour le théâtre, j’ai toujours cette vision en tête : un espace, des êtres humains, les acteurs, je pense souvent à eux, c’est un peuple. Je me demande : que veulent-ils jouer ? Ont-ils un désir ?
Les acteurs sont souvent très intelligents, très tendres, en même temps enfantins, naïfs. Quand j’écris des pièces, je ne pense pas aux metteurs en scène. Je pense aux acteurs, et à moi-même, comme spectateur.
Je vois cet espace vide qui est à ma disposition. J’aime beaucoup. Je voudrais le renouveler, non le retrouver, le mot est plus juste. »
Peter Handke, à propos de Par les villages.

Les personnages de "La chevauchée sur le lac de Constance", ce sont les comédiens eux-mêmes, les acteurs qui l’interprètent : individus – et non stéréotypes – qui s’interrogent sur leurs rapports avec leur vie, leur métier, les problèmes de la création, l’intervention du concret…
Jusqu’à ce qu’ils finissent comme pétrifiés après l’irruption d’une comédienne jouant le rôle d’une femme de ménage, mais qui porte dans ses bras un bébé hurlant : ils étaient déjà morts et ils l’ignoraient, de même que le cavalier d’une ballade célèbre en Allemagne tombe foudroyé lorsqu’il s’entend dire que ce lac de Constance dont il cherchait à atteindre la rive, il vient d’en traverser sans le savoir la surface gelée…
« Vous parlez ou vous rêvez ? »

La chevauchée sur le lac de Constance est un rêve.

Note d’intention

Par Pierre Maillet

Dans tous les sens du mot. Une pièce énigmatique, certes. Une œuvre poétique, surtout. A l’image de la ballade sur le Cavalier qui traverse le lac de Constance sans s’en rendre compte (c’est à cette histoire que le titre fait allusion). Un magnifique conte, naïf et mélancolique, qui selon moi constitue un éclairage important sur l’ensemble de la pièce : celui du mythe et de la légende.

Cinq personnages se retrouvent dans un décor qui « doit être un décor », de théâtre ou de cinéma peu importe. Décor assumé puisque ces cinq personnages sont des acteurs. Pour les désigner, Handke s’inspire de figures importantes du cinéma allemand. Des mythes également, de grandes vedettes du muet, tous plus ou moins ébranlés par l’arrivée du cinéma parlant, et surtout du nazisme.

C’est donc aussi une pièce sur le langage, (thématique primordiale dans l’œuvre de Handke) et une magnifique transposition dans l’univers du muet : dichotomie évidente entre le corps (l’image) et la tête (la parole). Toutefois, Handke tient beaucoup à la notion d’acteurs individus. Et même s’il dit à leur sujet « On peut les reconnaître si l’on sait que ce sont eux », ce ne sont pas véritablement ces acteurs-là ni leur histoire qui est mise en jeu dans « La chevauchée… » ils agissent plutôt comme référents, miroirs, et permettent de situer la pièce à l’endroit de la mémoire, de l’illusion, encore une fois du mythe.

En 1974, "La chevauchée sur le lac de Constance" est créée à Paris dans une mise en scène de Claude Régy. Les grandes figures du cinéma allemand deviennent celles du théâtre et surtout du cinéma français des années 70. Emil Jannings, Heinrich George, Erich Von Stroheim, Elisabeth Bergner et Henny Porten deviennent respectivement Michael Lonsdale, Gérard Depardieu, Sami Frey, Delphine Seyrig et Jeanne Moreau. Comme leurs prédécesseurs, ces cinq-là jouent souvent ensemble, notamment chez Bunuel ou Duras.
Le spectacle devient mythique, moins par le scandale qu’il suscite à l’époque, que par l’équipe qu’il réunit, et l’audace dont il fait preuve. 1974, c’est aussi l’année de "La grande bouffe", "India Song" se prépare, Pasolini prépare "Salo", "Le dernier tango" n’est pas loin, Fassbinder en est déjà à son vingtième film et Bunuel sort "Le fantôme de la liberté"…

Aujourd’hui, presque 35 ans après, l’envie de monter "La chevauchée…" avec les acteurs des Lucioles après "Le poids du monde" déjà de Handke, la trilogie Fassbinder et surtout le projet avorté de l’adaptation de "Théorème" de Pasolini (refus de droits), s’inscrit pour moi dans une continuité de travail sur les rapports du théâtre avec le cinéma, et sur les grandes œuvres des années 70.
Quand Peter Handke s’empare du mythe d’une époque révolue (le cinéma muet) c’est pour mieux questionner les difficultés relationnelles du moment en n’oubliant pas ce qui nous constitue, la « mémoire vive ». Car le texte de Handke est tout sauf nostalgique ; il est innocent, naïf, apparemment absurde, drôle, surtout drôle et pour finir très émouvant, à l’image de son amour pour les acteurs.

Ce peuple, dit-il, qui est le pivot de son écriture théâtrale. « On peut les reconnaître si l’on sait que ce sont eux », c’est avec cette phrase qui s’applique à ces acteurs (Lonsdale, Depardieu, Frey, Seyrig, Moreau, Jannings, Stroheïm, etc…) mais pourquoi pas à d’autres, tant des acteurs que des films, des livres, des musiques, des personnalités, que nous allons nous emparer à notre tour de ce « classique », qu’aucun d’entre nous n’a vu mais qui fait partie de notre « mémoire collective ».
Un « classique » qui à son tour fait partie d’une époque révolue (les années 70). Ce qui enrichit aujourd’hui le texte original de Peter Handke et le rend encore plus vertigineux. Les grands textes sont ceux qui peuvent s’adapter à l’époque dans laquelle on les monte, sans en trahir l’origine ni en cherchant à tout prix à les moderniser.

Celui-ci n’en a pas besoin. Monter « La chevauchée » aujourd’hui l’inscrit forcément dans une réalité différente. Sans nostalgie aucune ; mais avec humour, plaisir et dérision tant il est certain que de nos jours la perte d’identité ; la solitude ; le rapport au pouvoir ; l’incommunicabilité ; la vulgarisation de l’art, du sexe et des personnes : thèmes incarnés dans la pièce de manière inconsciente, résonnent cruellement aujourd’hui.
Et nous font plus que jamais dire, comme à la fin de la pièce : « Qu’a-t-il bien pu se passer ? »

Presse

LES INROCKUPTIBLES 13 /11/2007
Une machine infernale qui secoue langage et situations dans un esprit surréaliste. Une rêverie débridée, délirante et parfois inquiétante de Peter Handke, parfaitement mise en scène par Pierre Maillet … Le Théâtre des Lucioles rejoue Handke à Strasbourg

MOUVEMENT 06/11/07 Après Le poids du monde en 1998, le Théâtre des Lucioles porte à nouveau sur scène un texte de Peter Handke : La Chevauchée sur le lac de Constance. Un véritable jeu, à tous points de vue… Chevauchée délirante et loufoque sur le lac de Constance – La voix du nord – 03 /05/08 La chevauchée sur le lac de Constance de Handke, joué par le Théâtre des Lucioles, a aspiré l’Hippodrome dans les méandres du rêve. Il est question de tiroir qui coince et de boîte de cigares qui tombe. Ne pas chercher à comprendre ou essayer pour mieux abandonner…

De Peter Handke
Traduction Marie-Louise Audiberti

Mise en scène Pierre Maillet
Assisté d’Emilie Capliez

Avec
Marc Bertin, Jean-François Auguste, Elise Vigier, Mathieu Cruciani, Emilie Beauvais, Denis Lejeune, Julien Geskoff et Emilie Capliez

Scénographie Marc Lainé
Lumières Bruno Marsol
Son Teddy Degouys
Régisseur générale Patrick LeJoncourt
Costumes Claire Raison et Laure Mahéo

Le texte est édité chez L’Arche éditeur

Production Théâtre des Lucioles
Co-production Théâtre du Maillon – Strasbourg / L’Hippodrome – Scène nationale de Douai
Avec l’aide de l’ADAMI


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